Les Nourritures terrestres II
1) Le voyage :
André Gide se dévoile dans ce texte un être nomade, amoureux des déplacements continuels : « Je me suis fait rôdeur pour pouvoir frôler tout ce qui rôde : je me suis épris de tendresse pour tout ce qui ne sait où se chauffer, et j’ai passionnément aimé tout ce qui vagabonde ». En effet, le lecteur rencontre cet esprit nomade sous le soleil brûlant et enivrant du désert, dans les jardins de l’Italie, devant les flots mobiles de la Méditerranée, dans les fermes surabondantes de la Normandie… Aucun lieu n’est pour lui définitif, aucun horizon n’est fin de voyage. Quand il donne la parole à son personnage nommé Ménalque, la première chose que celui-ci exprime est cette volonté de l’errance :
« …À dix-huit ans, quand j’eus fini mes premières études, l’esprit las de travail, le cœur inoccupé, languissant de l’être, le corps exaspéré par la contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je connus tout ce que vous savez : le printemps, l’odeur de la terre, la floraison des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m’arrêter nulle part ».
Le voyage rime avec renaissance, et cet appel fréquent à la mobilté dans Les Nourritures terrestres s’avère en réalité une invitation ouverte à la transformation culturelle. C'est dans cette optique que je comprends cette apostrophe d'André Gide à son disciple imaginaire :
« Nathanaël, ne demeure pas auprès de ce qui te ressemble ; ne demeure jamais, Nathanaël. Dès qu’un environ a pris ta ressemblance, ou que toi tu t’es fait semblable à l’environ, il n’est plus pour toi profitable. Il faut le quitter ».
Cette fuite de la ressemblance mène incontournablement vers l'Altérité et l'Ailleurs, et par conséquent, vers une hypothétique recomposition identitaire par le biais de la différence.
Tel est donc l’enjeu d’André Gide dans Les nourritures terrestres : un rêve d’une pensée errante, une éducation d’un esprit capteur de tous les changements, une édification d’une culture nomade… bref, une invitation au voyage.
2) Insatisfaction :
Toutefois, même si Les nourritures terrestres se donne à lire comme un hymne à la vie, une invitation au voyage, le lecteur sera choqué par l’autre face du livre : l'auteur, dans la poursuite de ses désirs, insatisfait, exprime amèrement sa lassitude : « Désir ! Désir ! que te ferais-je ? que veux-tu donc ? Est-ce que tu ne te lasseras pas ? » ; ou encore : « Est-ce que tu n’es pas encore las de cette vie horriblement errante ? ». Ce sentiment d’inasouvissement laisse infiltrer une triste conscience de l'imperfection terrestre : « Toutes les joies de nos sens ont été imparfaites comme des mensonges ».
Ainsi, de ses amas de Nourritures se dégage non l’odeur de la joie, quoi que l’auteur nous en parle sans cesse, mais les relents de l’amertume et de la flétrissure prochaine.